L’intelligence artificielle façonne l’avenir mais à quel prix pour la planète ? Alors que Microsoft multiplie les initiatives autour de l’IA générative, ses émissions de gaz à effet de serre ont explosé +168 % selon ses propres données. Pour compenser cette envolée, l’entreprise a signé un accord aussi massif que déroutant : enfouir près de 5 millions de tonnes de déchets organiques (du fumier, des boues d’épuration, des résidus alimentaires) à grande profondeur, dans l’espoir de stocker durablement du carbone.
Présentée comme une avancée climatique, cette stratégie soulève pourtant de sérieuses questions. Peut-on réellement parler de transition écologique quand on mise sur l’enfouissement massif de déchets pour contrebalancer la pollution numérique ?
Pourquoi Microsoft doit compenser massivement ses émissions
L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle transforme Microsoft en géant énergétique. Chaque requête à Copilot, chaque génération de texte ou d’image via Azure AI repose sur des infrastructures colossales : centres de données, fermes de GPU, systèmes de refroidissement industriels, etc… Si l’IA semble immatérielle à l’utilisateur, elle repose en réalité sur une consommation électrique faramineuse. Et cette électricité, dans bien des cas, reste encore fortement carbonée.
Selon les derniers bilans internes, les activités cloud et IA de Microsoft ont contribué à une hausse de 168 % de ses émissions de gaz à effet de serre. Une explosion en totale contradiction avec les engagements climatiques pris par l’entreprise. L’IA, présentée comme le futur de la productivité, devient ainsi l’un des moteurs principaux de sa dette carbone.
Carbone négatif d’ici 2030 : le pari ambitieux et risqué de Microsoft
Pourtant, Microsoft persiste à revendiquer un cap ambitieux : devenir carbone négatif d’ici 2030. Autrement dit, retirer plus de carbone de l’atmosphère qu’elle n’en émet. Une promesse qui séduit sur le papier mais qui repose sur des mécanismes de compensation massive et non sur une réduction drastique à la source.
Dans un contexte où les régulateurs, les investisseurs et l’opinion publique exigent plus de transparence et d’action réelle, la firme est poussée à justifier ses choix. La pression est d’autant plus forte que Microsoft se veut pionnier dans la tech responsable. Mais compenser n’est pas effacer, tant que l’empreinte énergétique de l’IA ne sera pas maîtrisée, la légitimité de ces engagements climatiques restera sujette à débat.
Le plan étonnant : enfouir du fumier à grande échelle
Pour tenir ses promesses climatiques face à l’explosion de ses émissions, Microsoft a signé un partenariat inédit avec Vaulted Deep, une entreprise spécialisée dans la séquestration de carbone par enfouissement de déchets organiques. Selon les informations révélées par plusieurs médias américains, le contrat porterait sur l’injection de 4,9 millions de tonnes de bioslurry sur une période de 12 ans, à partir de 2026.

Le procédé repose sur une méthode de séquestration géologique : un mélange visqueux composé de déchets organiques est injecté à plus de 1 500 mètres de profondeur, dans des couches de roche poreuse censées piéger durablement la matière et empêcher tout dégagement gazeux (notamment de méthane ou de CO₂). Une fois sous pression, le mélange est censé se stabiliser sans remonter à la surface ni contaminer l’environnement.
Le terme fumier est en réalité une simplification, le bioslurry utilisé est un mélange complexe de plusieurs types de résidus organiques :
- Boues d’épuration issues du traitement des eaux usées domestiques (comprenant des déchets humains)
- Déjections agricoles provenant des élevages industriels
- Déchets alimentaires issus de la restauration ou de l’industrie agroalimentaire
Ce cocktail biologique est présenté comme une matière première idéale pour la séquestration carbone, dans la mesure où sa décomposition naturelle produit de grandes quantités de méthane, un gaz à effet de serre particulièrement puissant. En l’enfouissant, Microsoft espère obtenir des crédits carbone équivalents au gaz non émis.
Microsoft et Vaulted Deep : un accord carbone à 1,7 milliard $ sous haute confidentialité
Malgré l’ampleur du projet (près de 5 millions de tonnes de matières organiques à enfouir) Microsoft est resté discret sur les détails de son partenariat avec Vaulted Deep. Le montant exact du contrat n’a pas été rendu public, mais les estimations industrielles évoquent un coût avoisinant 350 dollars par tonne de CO₂ stockée, soit un engagement financier qui pourrait atteindre 1,7 milliard de dollars sur 12 ans.
Au-delà du prix, c’est surtout l’absence de transparence qui fait tiquer. Aucun rapport indépendant n’a été publié à ce jour sur la viabilité réelle du stockage, son suivi à long terme, ni sur l’impact environnemental du projet. Le manque d’audit externe alimente les soupçons de greenwashing : sans vérification sérieuse, il est difficile d’évaluer si cette séquestration est durable ou simplement déclarative.
Les critiques sur la validité des crédits carbone
L’autre point de friction majeur concerne la qualité des crédits carbone générés. Plutôt que de réduire ses émissions à la source (en optimisant ses infrastructures, en basculant vers des énergies renouvelables ou en limitant ses modèles IA les plus énergivores), Microsoft opte pour une stratégie de compensation différée. Cela revient à payer pour effacer une pollution, sans l’éviter.
Ce modèle présente un déphasage temporel évident : les émissions de CO₂ sont bien réelles et immédiates, tandis que le processus d’enfouissement et de stabilisation s’étale sur des années. Le gain climatique n’est donc pas garanti dans la même temporalité.
Par ailleurs, de nombreuses voix dans la communauté scientifique défendent des alternatives plus robustes et durables comme l’électrification des data centers via des énergies renouvelables, la réduction de l’empreinte logicielle ou la mutualisation des ressources serveurs. Autant de pistes qui permettraient de réduire l’empreinte numérique à la racine, au lieu de la maquiller à posteriori.
Microsoft et le piège de la compensation symbolique face à la crise environnementale
Face à l’explosion de son empreinte carbone (en grande partie liée à l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle) Microsoft a fait le choix audacieux de miser sur une technologie de compensation peu conventionnelle, basée sur l’enfouissement massif de déchets organiques. Spectaculaire par son ampleur, ce projet soulève pourtant de nombreuses interrogations sur sa réelle efficacité climatique et sa durabilité.
Enfouir du fumier à des kilomètres sous terre pour générer des crédits carbone peut sembler innovant mais cela ressemble aussi à une rustine technologique, plus adaptée à soulager la pression médiatique qu’à transformer profondément le modèle énergétique. Car pendant que les émissions continuent d’augmenter, les compensations elles arrivent avec retard, sans certitude de neutralité.
À travers ce cas emblématique, c’est toute la stratégie des GAFAM qui est remise en question. Compter sur des mécanismes de compensation pour atteindre des objectifs climatiques ne suffit plus. La vraie rupture viendra d’une réduction structurelle de la consommation énergétique des IA, de l’adoption massive des énergies renouvelables et d’un effort réel pour concevoir un numérique sobre. Sans cela, l’innovation risque fort de devenir un enième écran de fumée.