Pénurie de RAM pourquoi les ruptures de stock vont durer jusqu’en 2028

Depuis plusieurs mois, la mémoire vive est devenue un composant difficile à trouver, plus coûteux que prévu, voire absent des rayons. Derrière ces ruptures de stock et ces hausses de prix se cache une transformation profonde de l’industrie des semi conducteurs. L’essor de l’intelligence artificielle, les choix stratégiques des fabricants et la réorganisation des lignes de production ont progressivement déplacé la RAM du marché grand public vers des usages bien plus spécialisés. Dans cet article, nous allons analyser les causes de cette pénurie, les choix stratégiques des fabricants de mémoire et les conséquences directes sur les prix des PC, des cartes graphiques et des appareils grand public.

L’intelligence artificielle consomme des volumes de RAM sans précédent

L’intelligence artificielle moderne repose sur des architectures dont l’ampleur dépasse largement les standards informatiques traditionnels. Les phases d’entraînement comme d’inférence mobilisent des ensembles de données volumineux, des matrices de paramètres massives et des états intermédiaires qui doivent rester accessibles de manière instantanée. Tout accès disque introduit une latence incompatible avec les exigences de débit et de réactivité de ces modèles. Pour maintenir une cadence de calcul soutenue, l’intégralité du modèle, ainsi que les données nécessaires à son fonctionnement, doivent résider en mémoire vive. À mesure que les modèles gagnent en complexité et en précision, cette exigence mémoire augmente mécaniquement et entraîne une consommation qui se mesure désormais en centaines de gigaoctets par instance.

Une réorientation assumée des capacités de production vers l’IA et le HPC

Face à cette demande structurelle, les fabricants de mémoire ont opéré un basculement des lignes de production vers les usages à forte valeur ajoutée (les serveurs d’intelligence artificielle et les infrastructures de calcul haute performance). Cette réallocation priorise la production de mémoire HBM, ainsi que de modules DDR5 à forte densité, mieux adaptés aux plateformes récentes. Ces segments absorbent une part croissante des capacités industrielles disponibles, au détriment des volumes historiquement destinés aux PC et aux équipements grand public.

Même en ne considérant qu’un serveur isolé, les volumes de mémoire requis paraissent déjà disproportionnés au regard des usages classiques. Il suffit alors d’imaginer des infrastructures comme ChatGPT ou Gemini, qui reposent sur des milliers de machines fonctionnant en parallèle, avec des modèles chargés en permanence, des mécanismes de redondance et des marges de capacité destinées à absorber des millions de requêtes simultanées. À cette échelle, la RAM dépasse largement ce pour quoi le marché grand public avait été initialement dimensionné.

La DDR4, grande délaissée de l’industrie malgré son omniprésence

La RAM DDR4 équipe la majorité des PC en circulation, une part significative des serveurs d’entreprise et de nombreux systèmes industriels dont les cycles de renouvellement s’étendent sur plusieurs années. Cette omniprésence en fait l’une des mémoires les plus demandées à l’échelle globale.

Malgré cette réalité d’usage, la DDR4 est progressivement reléguée au second plan par les fabricants de mémoire. Les lignes de production qui lui étaient historiquement dédiées sont réduites au profit de la DDR5, mieux alignée avec les besoins du calcul intensif et des infrastructures modernes et concentre désormais l’essentiel des investissements industriels. La DDR4 devient ainsi un exemple emblématique d’une norme encore indispensable, mais progressivement abandonnée par l’industrie. Cette situation alimente les ruptures de stock et contribue à une pression continue sur les prix, malgré un usage toujours massif.

Les fabricants ne souhaitent pas augmenter massivement leur production

La construction d’une usine de semi conducteurs dédiée à la DRAM constitue un engagement industriel majeur, dont les effets ne se mesurent qu’à l’échelle de plusieurs années. Entre la conception des infrastructures, l’installation des équipements de lithographie et la montée en cadence des lignes, les délais s’allongent, tandis que les investissements atteignent des montants de plusieurs milliards.

Ces infrastructures sont par ailleurs fortement dépendantes des cycles économiques. Le marché de la mémoire est historiquement volatil, alternant phases de tension et périodes de surabondance. Dans ce contexte, engager de nouvelles capacités de production au cœur d’une pénurie expose les fabricants à un risque élevé lorsque la demande se normalise. Une décision prise aujourd’hui ne produit ses effets que plusieurs années plus tard dans un environnement de marché radicalement différent.

Le spectre d’une surcapacité après la phase de tension

L’histoire de la mémoire vive est jalonnée de phases d’expansion suivies d’effondrements rapides des prix, lorsque l’offre finit par dépasser la demande. Ces périodes de surcapacité ont laissé derrière elles des usines sous exploitées, des marges laminées et des restructurations profondes.

Une fois la pénurie résorbée, de nouvelles capacités pourraient rapidement devenir excédentaires. Ce risque structurel incite à la retenue. Plutôt que de reproduire les excès du passé, l’industrie privilégie désormais une gestion maîtrisée de l’offre, acceptant une tension prolongée comme un moindre mal face aux conséquences d’un surplus durable.

Un marché PC contraint par l’offre plus que par la demande

Le ralentissement observé sur le marché de la mémoire ne traduit pas un désintérêt pour le PC. Les ventes restent globalement stables et montrent même des signes de reprise, portés par le renouvellement des parcs vieillissants après la fin de Windows 10 et par des besoins professionnels toujours présents. La demande n’a pas disparu, elle s’est simplement normalisée après les excès des années précédentes.

Le déséquilibre actuel provient essentiellement de l’offre. Les volumes de mémoire alloués au marché du PC ne suivent plus cette demande et ce n’est pas l’utilisateur final qui manque, mais la capacité industrielle dédiée à ce segment. Le PC se retrouve ainsi confronté à une contrainte qui le place à présent en arrière-plan des priorités de production.

Une inflation rapide et structurelle des prix de la mémoire

Cette contrainte sur l’offre se traduit mécaniquement par une hausse marquée des prix. Les modules DDR5 ont vu leurs tarifs doubler sur certaines références en l’espace de quelques mois. Ces variations ne sont pas uniformes et dépendent fortement de l’état des stocks disponibles à un instant donné. Les écarts de prix se creusent également entre les capacités standard et les modules de grande capacité, beaucoup plus sollicités et produits en volumes plus restreints. Cette volatilité complique les décisions d’achat et rend le marché particulièrement difficile à anticiper, tant pour les particuliers que pour les professionnels.

Une tension persistante sur les inventaires RAM

La fragilité de l’approvisionnement se reflète aussi dans l’état des stocks. Chez les grossistes, les niveaux d’inventaire sont faibles et limités à quelques semaines de disponibilité. Dans ce contexte, la priorité est naturellement donnée aux gros acheteurs capables de sécuriser des volumes importants via des engagements contractuels. Les particuliers, les intégrateurs et les petites structures se retrouvent en bout de chaîne. Ils subissent une disponibilité irrégulière, des délais variables et des prix fluctuants.

Les conséquences directes sur les prix des PC et GPU

La tension sur la mémoire vive concerne l’ensemble des équipements numériques. PC fixes et portables, cartes graphiques, smartphones ou consoles intègrent tous de la RAM en quantités importantes et sous des formes de plus en plus performantes. Lorsque la mémoire devient plus rare et plus coûteuse, l’impact se diffuse à toute la chaîne de production, sans exception, du matériel grand public aux configurations les plus avancées.

Face à cette hausse, les fabricants disposent de peu de leviers. Les marges ne permettent pas d’absorber indéfiniment l’augmentation du coût de la mémoire et conduit à une répercussion progressive sur les prix finaux. Les configurations haut de gamme sont les premières concernées car elles embarquent davantage de RAM et de mémoire rapide. Les cartes graphiques haut de gamme illustrent particulièrement ce phénomène, soumises à une double pression entre une forte demande liée à l’intelligence artificielle et un coût mémoire en augmentation.

Pour les utilisateurs, cette situation installe un environnement de marché plus contraint. La disponibilité restera irrégulière et les prix s’inscrivent dans un niveau durablement plus élevé, sans perspective de retour rapide aux conditions antérieures. La mémoire vive cesse ainsi d’être un composant banal et redevient un facteur structurant dans la conception, la tarification et l’évolution des équipements informatiques.

Une pénurie de RAM attendue au moins jusqu’en 2028

Selon TrendForce, la croissance de l’offre mondiale de DRAM restera inférieure à la demande au moins jusqu’en 2027 à 2028 en raison d’une expansion industrielle volontairement limitée. Dans le même temps, la part de la production allouée aux serveurs et à l’intelligence artificielle continue de progresser fortement avec une augmentation annuelle estimée entre 20 et 30 % pour les usages IA contre une croissance beaucoup plus stable pour le marché PC. Cette asymétrie explique pourquoi les tensions observées ne constituent pas une anomalie passagère, mais une trajectoire structurelle du marché .

Sur le plan tarifaire, les projections convergent également. Les prix de la DRAM devraient rester élevés tout au long de 2026 avec une normalisation lente et partielle seulement attendue à partir de 2027, sans retour aux niveaux d’avant la montée en puissance de l’IA. Plusieurs fabricants et intégrateurs ont déjà intégré ces hypothèses dans leurs grilles tarifaires pour anticiper des coûts durablement supérieurs pour les PC, les cartes graphiques et les appareils grand public.